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Monsanto

Comme je le disais dans mon précédent commentaire ("De la nécessité de mener des études épidémiologiques"), l'impunité des fabricants de produits toxiques, dont Monsanto constitue le paradigme, est quasiment assurée par la difficulté que rencontrent les victimes a prouvé le lien qui existe entre la maladie dont ils souffrent et l'exposition au produit suspecté.

À ce sujet, l'affaire des vétérans de la guerre du Vietnam qui se battent depuis plus de trente ans pour dénoncer les méfaits de la dioxine, présente dans l'agent orange, est exemplaire.
Il a fallu qu'ils mènent un combat acharné, pour que l'Académie nationale des sciences des Etats Unis établisse la liste des maladies pouvant être attribuées à une exposition à la dioxine.
Aujourd'hui, celle-ci compte treize pathologies graves: essentiellement des cancers (appareil respiratoire, prostate), dont certains très rares comme le sarcome des tissus mous ou le lymphome non hodgkinien, mais aussi la leucémie, le diabète (de type 2), la neuropathie périphérique et la chloracné. Cette liste évolutive a permis au Département des anciens combattants d’indemniser et de prendre en charge médicalement des milliers de vétérans (sur les quelque 3,1 millions de soldats américains ayant servi pendant la guerre du Viêt-nam).

Pour mon enquête, j'ai rencontré Alain Gibson, , le vice-président de l'association Vietnam Veterans of America, qui, à la différence de nombreuses victimes américaines, qui sont tombées malades parfois vingt ou trente ans après l'exposition à l'agent orange, a commencé à en subir les conséquences peu de temps après son retour aux Etats Unis (il souffre de neuropathie périphérique)

Je mets en ligne l'interview (prémontée) qu'il m'a accordée et que j'avais dû finalement couper, pour cause de longueur.

Ce témoignage est longuement développé dans mon livre.

Je rappelle que la dioxine est un produit qui n'existe pas dans la nature, mais que cette substance hautement toxique est générée lors du processus de fabrication de produits chimiques (très nombreux, comme le Pentax, un produit de traitement du bois, fabriqué aussi par Monsanto).
Dans le cas de l'agent orange, il s'agit de l'herbicide 2,4,5-T, qui a fait la fortune de Monsanto pendant une trentaine d'années (ainsi que d'autres fabricants comme Dow Chemicals), et dont la firme connaissait les effets toxiques qu'elle a pourtant cachés (j'y reviendrai).

Combien d'agriculteurs qui ont utilisé ce produit sans précaution ou de consommateurs qui ont mangé des aliments contenant des résidus de 2,4,5-T et donc de dioxine sont, aujourdhui malades ou morts?

On ne le saura jamais, car aucune étude épidémiologique d'envergure n'a jamais été menée sur ce sujet, selon le bon vieux principe, qui garantit, encore une fois, l'impunité des empoisonneurs: "pas cherché, donc pas vu, pas su".

Toute ressemblance avec le roundup est, bien sûr, fortuite...
Il est intéressant de noter que les autorités ont attendu le lancement du roundup sur le marché, en 1974, pour interdire définitivement le 2,4,5-T...

L'un de mes détracteurs anonymes préférés, a écrit un commentaire désarmant de naïveté :"
" le RoundUp est utilisé depuis 40 ans sans aucun problème apparent..."

Soit dit en passant le roundup a élé lancé sur le marché américain au milieu des années 1970, c'est-à-dire il y a trente ans...

Comme chacun sait, les effets d'un produit cancérigène, comme le tabac ou l'amiante, ne sont pas immédiats!

Les études menées sur la cancérogenèse montrent , au contraire, que les cancers provoqués par la toxicité d'une substance à laquelle une personne a été exposée se manifestent en moyenne une trentaine d'années après l'exposition, au terme d'un processus qui se déroule en plusieurs étapes.

Et c'est précisément cela la chance des fabricants de produits cancérigènes dont l'impunité est assurée par le processus même de la cancérogenèse.

Comment savoir, en effet, quel produit toxique a déclenché, trente ans plus tôt, le mécanisme qui "conduit aux premières étapes du cancer", comme le dit très justement le Professeur Bellé?

C'est d'autant plus difficile que notre environnement quotidien est envahi par des molécules cancérigènes (ce qui sera le thème de mon prochain film pour ARTE) et que le seul moyen d'établir un lien entre un cancer et un produit toxique suspect c'est de conduire des études épidémiologiques sur des populations connues pour utiliser fréquemment ledit produit (comme les agriculteurs qui utilisent du roundup depuis trente ans).
Or, il n'y a pas de crédits pour cela!

Le meilleur exemple pour illustrer cela c'est l'agent orange, dont on a nié les effets cancérigènes pendant trente ans, à cause d'une étude épidémiologique manipulée par Monsanto...
Je rappellle que l'agent orange, utilisé par l'armée américaine pendant la guerre du Vietnam, était constitué de deux herbicides, aujourd'hui interdits, le 2,4,5-T et le 2,4-D, qui ont fait la fortune de Monsanto pendant plus de trente ans...

Avant de revenir sur cette (lamentable) affaire malheureusement exemplaire, je voudrais mettre en ligne l'interview que j'ai réalisée du Dr. Nguyen Thi Ngoc Phuong , obstétricienne de renommée internationale à l'hôpital Tû DÛ, à Hô-Chi-Minh-Ville (ex Saïgon), qui a connu l'époque où on niait l'existence d'un lien entre l'exposition à la dioxine et certaines formes de cancer (notamment de la moelle épinière, mais aussi des poumons, du foie, etc). Aujourd'hui, elle se bat pour que l'on reconnaisse les effets tératogènes (capables de provoquer des malformations génétiques) et mutagènes (capables de modifier de manière permanente et transmissible l'ADN des sujets exposés) de la dioxine.

 

Un internaute m'a fait parvenir un courrier que lui a adressé son député, Daniel Garrigue, élu UMP de Dordogne, à la suite d'une lettre qu'il lui avait adressée au moment du débat sur la loi OGM.
Ce courrier est l'illustration parfaite de l' "intoxication" des représentants de la nation, pour reprendre les termes du sénateur (UMP) Jean-François Legrand qui avait dénoncé les pressions exercées par les semenciers et Monsanto sur ses collègues dans Le Monde (voir sur mon Blog).

Le lecteur notera que le député est complètement hors sujet dans son courrier: il se dit favorable à "la recherche en plein champ", ce qui n'était pas l'objet principal de la loi qui, je le rappelle, visait à encadrer les cultures transgéniques commerciales. Curieusement, il ne dit pas un mot sur les plantes pesticides (véritable enjeu de la loi) qui envahiront bientôt nos champs si les décrets d'application de la loi, imposée par le gouvernement malgré le rejet du parlement, sont publiés. Pas un mot non plus sur le problème principal que pose cette loi, à savoir celui de la contamination des filières bio et conventionnelles qui donnera lieu à une cascade de litiges juridiques comme j'ai pu le constater au Canada ou aux Etats Unis.

Autre signe de "l'intoxication", cette phrase qu'on croirait sortie tout droit du site de Monsanto:

"Les recherches en biotechnologie rendent les résultats plus précis que les méthodes traditionnelles de sélection animales et végétales".

Cette belle affirmation ignore les inconnues multiples qui caractérisent le processus de manipulation génétique, à savoir l'insertion aléatoire du gène avec un outil balistique dont on ignore les conséquences à moyen terme puisque celles-ci n'ont jamais été sérieusement testées.

Pour le reste, M. Garrigue affirme avec raison que les "recherches en matière de santé sont un champ d'exploration scientifique très promoteur".

Certes! Mais quel rapport avec la loi? On ne peut qu'encourager les scientifiques du génie génétique à poursuivre leurs recherches en milieu confiné mais ça fait déjà près de trente ans qu'ils le font!

Quant au "Biopharming" - à savoir la production de plantes transgéniques censées fabriquer des médicaments et des vaccins - il reste une promesse sans réalisation concrète et sérieusement mise à mal depuis qu'un maïs transgénique à visée pharmaceutique a contaminé des champs aux Etats Unis:

www.amisdelaterre.org/OGM-pharmaceutiques-deja-l.html
www.indsp.org/biofarmFR.php

Je ne reviendrai pas sur l'argument éculé du "riz doré" sur lequel j'ai déjà écrit longuement dans mon Blog.

Quant au paragraphe sur l'amélioration de la production agricole, il est contredit par les données de terrain ou les études indépendantes que j'ai présentées dans mon livre et Blog: les plantes transgéniques ont un rendement inférieur aux plantes conventionnelles, sont plus fragiles et moins résistantes aux stress agronomiques (sécheresse ou pluies intenses) que leurs homologues non transgéniques, et ne réduisent pas la consommation d'herbicides et d'insecticides, mais au contraire l'augmentent dans un délai de quatre à six ans.

Je reproduis ici l'extrait de mon livre concernant ma rencontre avec l'agronome Roger Elmore.
Toutes les sources citées sont indiquées précisément dans mon livre.

DÉBUT EXTRAIT:

Contrairement à ce qu’a toujours affirmé Monsanto dans ses documents publicitaires, il n’est pas vrai que « cultivées dans des conditions comparables, les nouvelles variétés présentent un rendement similaire à celui des variétés [conventionnelles] à haut rendement ».

« Malheureusement, nous avons prouvé le contraire », m’explique Roger Elmore, un agronome qui a publié en 2001 une étude sur le sujet avec ses collègues de l’université du Nebraska . Travaillant aujourd’hui à l’université de l’Iowa, il me reçoit dans sa maison, située à une cinquantaine de kilomètres de Des Moines, en octobre 2006.

« Si nous avons mené cette étude — pendant deux ans et dans quatre endroits différents —, c’est que nous avions des informations provenant de différents États qui indiquaient que le soja transgénique avait un rendement moins élevé que les variétés conventionnelles apparentées, me dit-il. Nos résultats prouvent qu’effectivement la baisse de rendement est d’au moins 5 %.

Comment l’expliquez-vous ?, lui ai-je demandé, les yeux rivés sur les courbes que me montre l’agronome.

C’est ce que nous appelons le “yield drag” (mot à mot le “boulet du rendement”). Nous avions deux hypothèses qui pouvaient expliquer le “boulet” qui affecte le rendement des plantes transgéniques : soit il était dû à l’action du Roundup sur le métabolisme végétal, soit c’était le résultat de la manipulation génétique. Pour vérifier la première hypothèse, nous avons cultivé trois groupes de soja RR, issus de la même variété Roundup ready, dont l’un fut aspergé de Roundup, l’autre de sulfate d’ammonium, un produit qui stimule l’action des herbicides, et le troisième d’eau. Dans les trois cas, le rendement fut strictement le même, à savoir 55 boisseaux par acre. C’est donc la manipulation génétique qui explique le “yield drag”. Apparemment, l’insertion violente du gène perturbe la capacité productrice de la plante.

Le soja transgénique n’est donc pas équivalent au soja conventionnel ?

C’est en tout cas ce que montre notre étude…

Comment a réagi Monsanto ?

Disons que la firme ne tenait pas vraiment à ce que nous la publions, me répond Roger Elmore, avec la prudence requise.

Mais est-ce qu’elle avait elle-même conduit une étude sur le rendement de son soja ?

Les données qu’elle avait fournies étaient très faibles d’un point de vue scientifique et répondaient plus à un besoin, disons, commercial… », conclut l’agronome.

Les résultats de l’étude de Roger Elmore ont ainsi confirmé la « métanalyse » réalisée par Charles Benbrook, l'ancien directeur de la division agricole agricole de l'académie des sciences des Etats Unis, pour laquelle il avait dépouillé 8 200 mesures de rendement effectuées par les universités agronomiques des États-Unis en 1998.
Il en ressortait que le « yield drag » était en moyenne de 6,7 %, avec des pointes à 10 % notamment dans le Midwest, ce qui représentait un déficit de 80 à 100 millions de boisseaux de soja pour la seule année 1999 .

Comme le souligne Charles Benbrook, il arrive que le « yield drag » tourne carrément à la catastrophe, en raison d’un autre phénomène mis au jour en 2001 par des chercheurs de l’université d’Arkansas .
Ceux-ci ont en effet constaté que le Roundup affecte les bactéries rhizobium qui peuplent les racines du soja et les aident à se développer en fixant l’azote de l’atmosphère. La sensibilité des bactéries à l’herbicide expliquerait la baisse de rendement du soja RR, qui peut atteindre 25 % quand survient un épisode de sécheresse.

« Malheureusement, explique Charles Benbrook, il est désormais clair que les cultures Roundup ready sont plus vulnérables à certaines maladies, spécialement lorsqu’elles doivent combattre des stress comme un froid inhabituel, une attaque d’insectes ou un déséquilibre minéral ou microbien dans le sol. Ces problèmes de santé surviennent parce que le matériau génétique introduit pour rendre la plante résistante au Roundup a modifié le fonctionnement normal d’une voie métabolique clé qui déclenche et régule sa réponse immunitaire . »

Et d’ajouter : « Il est dommage que cette information n’ait été connue qu’après que 40 millions d’hectares ont été plantés en Amérique… »

Quand on épluche consciencieusement les journaux scientifiques et agricoles, on constate que les incidents ne sont pas rares au pays des cultures Roundup ready — je reviendrai sur les problèmes similaires des plantes Bt.
Par exemple, en 1999, des scientifiques de Georgie ont été contactés par des producteurs de soja qui se plaignaient du fait que les tiges de leurs plantes se cassaient de manière inexpliquée, entraînant un rendement excessivement bas. Leur étude a révélé que le soja transgénique produisait 20 % de lignine de plus que le soja conventionnel, ce qui, dans des conditions de chaleur plus élevées que la normale, provoquait une fragilité exceptionnelle des tiges …

FIN DE L'EXTRAIT

 

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